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16 juillet 2013 2 16 /07 /juillet /2013 10:59

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L'orage se déchaîne. C'est à la fois effrayant et magnifique. La voiture fend la brume un peu trop vite, la musique un peu trop fort. Les arbres sombres et noueux s'écartent sur son passage.
Nous sommes sur le chemin des vacances. Silencieux, le regard fixé sur la route, la fatigue du voyage collée à la peau. Enfin, c'est la place du village, désertée même par les chats, la petite église qui nous réveillera le lendemain à huit heures à grand coups de carillon et la maison. Le jardin est boueux et humide mais un sentiment de bien-être m'envahit. Nous déchargeons les bagages, la maison est restée figée depuis cet hiver. Nous y avions passé quelques jours en famille, pour Noël. Un Noël magique. Le feu dans la cheminée, la lumière blanche scintillante dehors, un moment de bonheur hors du temps. L'été, bien sûr, c'est différent. Un couple d'amis doit nous rejoindre dans quelques jours.

Nous nous affalons sur notre lit. Un trou dans le matelas nous sépare, nous nous figeons sur le dos, chacun de notre côté.

 

Je me réveille tard. Je suis seule. Jean n'a pas laissé de mot. Je prépare du café, fais griller quelques tartines au four. J'aime la cuisine avec sa grande table en bois, si conviviale. Mais ce matin, je suis seule face à mon café et mes tartines et j'ai un peu le vague à l'âme. J'ai bien mérité ces vacances, l'année s'est achevée par une promotion, ce qui signifie un meilleur salaire mais surtout plus de travail. J'aime mon travail, chargée des ressources humaines dans une société multimédia, mais ces derniers temps, j'aimerais avoir plus de temps pour moi, le temps de faire un enfant... Dehors, l'orage a laissé la place à un soleil timide et quelques nuages, des cumulus ? Je redécouvre le jardin, les noyers, typiques de la région, la balançoire dans l'arbre, sur laquelle plus personne ne monte depuis longtemps, la table sous le gros chêne où nous prenons nos repas, quand il fait beau. J'emprunte le petit chemin qui mène à la piscine. Les parents de Jean l'ont faite construire l'été dernier, afin de louer la maison à un meilleur prix. Elle surplombe la vallée. C'est un endroit paisible, au milieu de la nature, hors du monde. Je m'installe sur une chaise longue, au bord de l'eau. Je me demande où Jean est allé. En vacances, il se lève tôt et a besoin de "profiter de ses vacances", c'est-à-dire établir un planning bien précis de tout ce qu'il doit faire : sport, visites, jardinage, et même les courses. La cuisine reste mon domaine. Je me dis que je pourrais faire des grillades ce midi, pour notre premier jour, avec une grosse salade. Je retourne vers la maison, en espérant que Jean sera rentré pour m'accompagner faire les courses. Je respire à pleins poumons et je jette un dernier coup d'oeil aux pins qui entourent la piscine. J'ai très faim, tout à coup.

 

J'émerge de ma sieste. Déjà quatre heures... Alice et Eric arrivent dans deux jours. Je descends me préparer du café. Jean est dans la cuisine, il s'active à tout ranger. "Tu as beaucoup dormi. Tu vas être encore plus fatiguée, tu sais." Je bâille en guise de réponse. "Je me fais un café, tu en veux ?"

Le soleil cogne, je flotte sur un fauteuil en plastique transparent. Jean lit au bord, sur un transat. Tout à coup, il saute dans la piscine, m'éclaboussant. Je peste. Puis, il grimpe sur mon fauteuil, achevant de me tremper. L'après-midi se traîne. Nous n'avons rien prévu pour le soir. Eric et Alice arrivent le lendemain. Finalement, Jean opte pour un dîner au restaurant en amoureux. Cela ne fait que trois ans que nous sommes ensemble mais parfois j'ai l'impression que notre couple est déjà usé et je ne sais pas quoi faire pour raviver la magie. Lorsque je fais des efforts, ils tombent à plat sous le coup de l'humour à froid de Jean. "Tu as un service à me demander, c'est ça ? Te fatigue pas..." Je me dis qu'un bébé, peut-être... mais je redoute d'en parler. Le vin de pays aidant, je me détends. La nourriture est bonne et copieuse : soupe paysanne, foie gras, omelette aux cèpes, fromage et gâteau aux noix.

"Et si on faisait un bébé ?" Jean m'observe avec attention. "Bien sûr, j'y ai pensé moi aussi. Mais on ne peut pas faire ça à la légère, il faut être sûrs de nous." J'acquiesce. Mais que veut-il dire ?

 

Je passe une nuit agitée. Je me tourne et me retourne en me demandant ce que Jean a voulu dire : sûrs de vouloir un bébé ou sûrs de vouloir rester ensemble ? J'aurais pu lui demander, j'aurais dû lui demander mais j'ai choisi l'incertitude plutôt qu'une vérité que je n'étais pas prête à encaisser. Ses marques de tendresse ne cessent de décliner mais il reste avec moi... Il y a des passages à vide dans tous les couples. Et moi, qu'est-ce que je veux ? Je ne veux pas quitter Jean, encore moins qu'il me quitte. J'ai trente-deux ans, pas mal de kilos en trop, je me sens moins sûre de moi et moins séduisante qu'avant, je ne veux pas être seule, je veux fonder une famille... Enfin, je m'endors, épuisée et tendue.

 

Le soleil est radieux ce matin, le ciel d'un bleu éclatant, mais un vent frais persiste à souffler. Nous allons chercher Alice et Eric à la gare. Nous avons un peu d'avance, nous nous installons pour prendre un café au "Terminal". Jean est impassible derrière ses verres fumés. Comment savoir ce que quelqu'un éprouve pour vous ? Il y a ce qu'il dit, mais il ne faut pas toujours s'y fier. Il y a ce que ses gestes trahissent mais on peut mal les interpréter. Jean règle l'addition et se lève. "C'est l'heure."

Eric est un ami d'enfance de Jean. Je l'aime bien, sans vraiment le connaître. Elancé, des yeux verts qui pétillent, un visage intéressant. Il marche devant d'un pas assuré, traînant Alice par la main, jolie comme un coeur dans une robe très décolletée.
Les deux hommes rient et plaisantent dans la voiture tandis que nous parlons plus calmement avec Alice, un peu intimidées. Nous nous sommes rencontrées à plusieurs reprises mais de là à passer des vacances ensemble... Je ressens un peu d'appréhension. Nous aurions peut-être mieux fait de profiter de ces vacances en tête à tête avec Jean, tenter de sauver notre couple...

 

Nous nous installons tous les quatre sous le gros chêne pour prendre l'apéritif. Eric semble content de lui, comme d'habitude, et Alice, très amoureuse. Jean est quant à lui subjugué par les seins d'Alice. "Alors, quoi de neuf ?" Je déteste cette question mais Eric me l'a posée avec gentillesse alors je m'efforce d'y répondre, je parle de ma promotion... Jean m'interrompt : "On est en vacances, là. Si tu pouvais éviter de parler boulot, ce serait gentil, vraiment." Il tente d'atténuer sa remarque couperet par un petit rire. Eric change de sujet.

Je suis mortifiée. Je fais le service, je sers les invités tandis que Jean boit et plaisante. Mais pour qui me prend-il ? Au dessert, Eric pose une main sur le ventre d'Alice, un sourire radieux flotte sur son visage. "On a une grande nouvelle à vous annoncer."

 

Je suis allongée sur un transat au bord de la piscine, j'ai gardé un tee-shirt en dépit de la chaleur. J'observe Alice à la dérobée. La grossesse lui va bien. Elle feuillette un magazine du type "Cosmo". Je tente de me replonger dans "L'inconsolé" de Kazuo Ishiguro, Alice s'est extasiée sur l'épaisseur du livre. Forcément, à côté de Cosmo... Je commence à me sentir aigrie. Jean m'a ignorée toute la journée, comme s'il avait honte.

Le soir, prétextant une migraine, je monte me coucher sans dîner. Qu'ils se débrouillent.

 

Le lendemain, j'apprends qu'Eric a préparé la veille un dîner aussi succulent que léger à base de basilic frais. Je sens la colère monter en moi, une rage froide qui m'effraie.

Après déjeuner, je pars me promener, seule. Cela m'apaise. Jean évite soigneusement d'évoquer la grossesse d'Alice. S'il s'intéressait un peu plus à moi, aussi, peut-être que je ferais plus attention à mon apparence. Et puis, il est loin d'être parfait lui aussi ! Peu à peu, je sens une certitude me gagner : j'aurai ce bébé, que cela plaise à Jean ou non.

Je rejoins les autres à la piscine. Le ciel s'assombrit à vue d'oeil mais l'air reste lourd et moite. Alice a abandonné Cosmo pour un recueil de pièces de Guy Foissy, c'est vrai qu'elle est comédienne. Eric semble dormir et Jean est perdu dans la contemplation du paysage - ou des courbes d'Alice. Mais tout à coup, cela n'a plus tellement d'importance. Je m'approche de lui et lui chuchote de mon ton le plus sensuel : "Ca te dirait, une sieste tous les deux à la maison ?"

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commentaires

L
<br /> Je me suis laissée emporter par ta nouvelle! C'est une de tes photos non?<br />
Répondre
Y
<br /> <br /> Tu as l'oeil ! C'est un vieux texte mais il est de saison <br /> <br /> <br /> <br />