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5 juillet 2014 6 05 /07 /juillet /2014 07:33

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En tant qu'enseignante, j’en vois défiler des cas… Mieux vaut être armée et équilibrée pour faire face. J’enseignais depuis quelques années, je commençais à trouver mon rythme, le plus dur ce n’était pas de s’occuper des enfants mais de dialoguer avec leurs parents. On marchait sur des œufs, forcément… Je n’ai pas d’enfants mais je peux imaginer sans peine qu’apprendre que la prunelle de vos yeux rencontre des difficultés dans cette institution sur laquelle on mise tant et dont on peut bien difficilement se passer n’est pas facile...

Mais j’ai vraiment progressé... Ma stratégie, comme celle de la plupart de mes collègues, était de commencer par quelque chose de positif : « Bastien s’investit beaucoup en EPS », « Mélanie est une élève très calme. » Puis on enchaînait sur le fond du problème en trouvant une formulation atténuée : « Bastien a beaucoup de mal à respecter les règles et à se contrôler »  (« Il passe son temps à frapper les autres »), « Mélanie semble avoir du mal à se concentrer »  (« Mélanie vit dans un univers parallèle. »)

Dans l’ensemble, ça se passe plutôt bien.

Dans l’ensemble… car parfois, il y a des cas vraiment dramatiques. Je pense à Gaspard, et à sa petite sœur, Ella. J’y pense beaucoup en ce moment car j’attends mon premier enfant et je m’interroge : quelle mère vais-je être ? Inquiète, protectrice ? Jusqu’à quel point ?

Gaspard était un élève effacé. Quand je l’interrogeais, il devenait rouge pivoine ce qui provoquait l’hilarité de ses camarades. Il n’avait pas d’amis. Sa mère l’accompagnait et venait le chercher collée à la porte de l’école comme si elle risquait de le manquer si elle s’éloignait de quelques pas. Je lui en avais touché un mot, lui conseillant de laisser Gaspard respirer un peu, pour son bien. Je le sentais profondément anxieux et craintif. Suite à une séance de cinéma avec la classe, sa mère s’était plainte : le film donnait des cauchemars à son fils, elle allait sûrement devoir l’emmener chez un psy… J’avais sauté sur l’occasion pour proposer un rendez-vous avec la psychologue scolaire mais la maman de Gaspard avait ausssitôt refusé. Je m’inquiétais. Gaspard était un enfant frêle et pâle, à l’air affreusement triste. Il manquait souvent la classe. Jamais de certificat médical mais des mots de la mère dans un jargon médical. Je finis par lui conseiller d’aller consulter. Gaspard semblait de constitution particulièrement fragile, mieux valait être prudent et consulter pour rien plutôt que passer à côté de quelque chose. Sa mère opina, l’air soucieux : « Je suis contente que vous m’en parliez. Oui, je m’inquiète beaucoup pour Gaspard, il est très souvent malade, c’est vraiment difficile, vous savez. » Son regard brillait d’une lueur étrange.  J’étais un peu déroutée mais je m'efforçai de n'en laisser rien paraître. « Alors, emmenez-le voir un médecin, cela vaut mieux… Ou peut-être le médecin scolaire… »

Elle me coupa brutalement : « Je préfère voir notre médecin de famille, merci. »

Gaspard était absent depuis plus d’une semaine lorsque le directeur vint me parler : « Chloé, j’ai une terrible nouvelle, le petit Gaspard est décédé des suites des complications d’une maladie infectieuse. »

Les jours qui suivirent, j’évoluai dans un brouillard flou. Les élèves avaient beau ne pas avoir noué de lien avec lui, ils étaient également sous le choc de la mort d’un des leurs. Et j’étais hantée par le regard brillant de la mère lorsqu’elle parlait des maladies de son fils. Mais que faire ? Que dire ? Ajouter une suspicion maladroite à la peine sans fond la pire au monde ? Alors je me tus. Jusqu’à ce que la petite sœur de Gaspard fasse son entrée à l’école : les mêmes grands yeux sombres tristes et cernés, le même teint maladif, la même constitution frêle… Elle n’était pas dans ma classe mais je ressentis un élan de protection envers elle. Je me sentais animée du devoir de la protéger des griffes de l’amour dévorant de sa mère. Je me disais que son instinct protecteur avait dû être découplé suite à la tragédie.

J’ai parlé de mes craintes autour de moi, à mes collègues, au directeur, à la psychologue mais je n’ai récolté que des regards compatissants. Je sais bien ce qu’ils pensaient : elle a vécu la perte d’un élève, elle a dû mal à s’en remettre, elle a monté une théorie tordue pour tenter de surmonter ça. On la plaint mais on ne l’écoute pas vraiment. Je me suis débattue contre des moulins à vent et puis j’ai baissé les bras. Et le jour où j’ai appris la mort de la petite sœur de Gaspard, j’ai eu un coup au cœur mais je n’ai pas vraiment été surprise. La mère a été inculpée pour empoisonnement. Mais il ne restait plus d’enfant à sauver.

Je caresse mon ventre. Je frémis à la pensée que je puisse être capable de faire le moindre mal à ce petit être qui a blotti sa vie en moi. Mais qu’est-ce que j’en sais après tout ?

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22 décembre 2013 7 22 /12 /décembre /2013 08:29

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Entre ciel et terre

J'ai choisi

Flotter

Ne plus penser

Entre ciel et mer

J'ai choisi l'horizon

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12 août 2013 1 12 /08 /août /2013 03:59

Me_xique-210409-29.jpgcrédit photo : Grégory Barboux

 

Le roulis lui soulevait le coeur mais ça, elle pouvait encore le supporter. Ce qui lui donnait vraiment la nausée c'était de la voir se pavaner de cette façon. Elle lui aurait arraché les yeux.

 

Ces vacances s'étaient organisées toutes seules. Lors d'un dîner tous les trois, Eve avait lancé qu'elle ne rêvait que du clapotis des vagues et de sable chaud. Raphaël connaissait bien Cancun, il s'était occupé de tout réserver et dix jours plus tard, ils étaient de l'autre côté de l'océan, à lézarder sur des plages paradisiaques. Alice n'avait jamais vu une eau de cette couleur -  turquoise, lumineuse, transparente - ni du sable aussi doux, aussi blanc. Sa fille, Noa, qui venait d'avoir trois ans, s'amusait bien avec les autres enfants du complexe hôtelier et c'était l'occasion de retrouver un peu d'intimité dans son couple. Mais c'était sans compter Eve. Eve qui avait toujours besoin de se faire remarquer. Eve, excessive, qui gâchait toujours tout.

Alice, bien protégée du soleil sous son chapeau et derrière ses lunettes de soleil, observe Eve et Raphaël à la dérobée. Le personnel du bateau a mis de la musique latino et Eve se déhanche de façon suggestive devant Raphaël. Alice serre les dents, faisant mine de s'occuper de Noa. Ils la font vraiment passer pour la mémère qui s'occupe de sa fille pendant qu'ils s'amusent, beaux et insouciants.

"Ca va, ma chérie ?" C'est Eric, tout mielleux.

"Mais oui, ne t'en fais pas, amuse-toi, je m'occupe de Noa.

- Oh, ça va, arrête un peu de faire ta brimée !"

Tiens, il a perçu la touche de sarcasme. Le ton monte vite entre eux ces temps-ci. Raphaël prend Noa dans ses bras. "Va te chercher à boire, ça te fera du bien."

Alice ravale ses larmes, se lève en titubant un peu, elle n'a décidément pas le pied marin et se dirige avec maladresse vers le bar. Eve la suit. "C'est génial, non ?"

Alice la contemple froidement. "Génial, oui, c'est le mot..."

Eve sourit sans cesser de bouger en cadence, apparemment moins douée que Raphaël pour déceler l'implicite. Alice pousse un soupir. Tu parles de vacances détente...

 

Une animatrice prend le micro pour annoncer le lancement de l'activité "snorkeling" qui consiste à sauter dans la mer équipé de palmes, d'un tuba et d'un gilet de sauvetage afin d'admirer les poissons tropicaux. Eve avait proposé de garder Noa pour qu'Alice et Raphaël puissent en profiter. Il faut lui reconnaître ça, elle adore Noa et s'en occupe très bien. Alice espère que son mal de mer se dissipera un peu une fois dans l'eau. Eve danse avec Noa qui pousse des cris ravis. Affublée de palmes et d'un masque ridicules, Alice attend son tour pour sauter de l'échelle. Le froid la saissit d'emblée. Balottée par les vagues, sa nausée s'accentue. Elle se force à mettre en place le tuba et à plonger la tête dans l'eau... une immersion dans un aquarium géant. Mais elle n'arrive pas à s'arrêter de grelotter et se demande si elle va vomir dans la mer, ce serait une première.

Raphaël se débarrasse du gilet obligatoire afin de plonger pour s'approcher des poissons. En retrait, Alice s'oblige à respirer calmement. En se retournant, elle constate que le bateau s'est éloigné. Des images d'un film d'horreur lui reviennent en tête : deux plongeurs, abandonnés en pleine mer, dévorés par les requins... Pas le moment de penser à ça...

Un peu plus tard, Alice émerge des toilettes, vaguement honteuse et soulagée. Le bateau s'approche de la rive par un entrelacs de petites routes d'eau. Eve est grimpée sur le toit et agite les bras en poussant des cris dès qu'ils croisent un autre bateau. Alice aimerait lui crier d'arrêter son cirque mais elle passerait pour une jalouse aigrie alors elle se force à sourire.

Dès l'arrivée à quai, le personnel les guide vers un restaurant surplombant une piscine. Grâce à leurs bracelets violets, ils ont apparemment droit à tout "à volonté". Alice grignote les chips de maïs et le poulet tandis que Raphaël découpe la viande de Noa en petits morceaux. Eve a déclaré qu'elle n'avait pas faim et est allée directement se prélasser au bord de la piscine en forme de graine de haricot géante, un mojito à la main. Sauter des repas, faire ce qui lui chante... Alice se demande si Eve le fait exprès pour lui renvoyer son statut de mère responsable à la figure. Mais elle sent une telle bouffée d'amour la submerger quand elle contemple le petit visage de sa fille, mâchonnant son poulet les yeux dans le vague, qu'elle s'en fiche éperdument après tout.  

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16 juillet 2013 2 16 /07 /juillet /2013 10:59

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L'orage se déchaîne. C'est à la fois effrayant et magnifique. La voiture fend la brume un peu trop vite, la musique un peu trop fort. Les arbres sombres et noueux s'écartent sur son passage.
Nous sommes sur le chemin des vacances. Silencieux, le regard fixé sur la route, la fatigue du voyage collée à la peau. Enfin, c'est la place du village, désertée même par les chats, la petite église qui nous réveillera le lendemain à huit heures à grand coups de carillon et la maison. Le jardin est boueux et humide mais un sentiment de bien-être m'envahit. Nous déchargeons les bagages, la maison est restée figée depuis cet hiver. Nous y avions passé quelques jours en famille, pour Noël. Un Noël magique. Le feu dans la cheminée, la lumière blanche scintillante dehors, un moment de bonheur hors du temps. L'été, bien sûr, c'est différent. Un couple d'amis doit nous rejoindre dans quelques jours.

Nous nous affalons sur notre lit. Un trou dans le matelas nous sépare, nous nous figeons sur le dos, chacun de notre côté.

 

Je me réveille tard. Je suis seule. Jean n'a pas laissé de mot. Je prépare du café, fais griller quelques tartines au four. J'aime la cuisine avec sa grande table en bois, si conviviale. Mais ce matin, je suis seule face à mon café et mes tartines et j'ai un peu le vague à l'âme. J'ai bien mérité ces vacances, l'année s'est achevée par une promotion, ce qui signifie un meilleur salaire mais surtout plus de travail. J'aime mon travail, chargée des ressources humaines dans une société multimédia, mais ces derniers temps, j'aimerais avoir plus de temps pour moi, le temps de faire un enfant... Dehors, l'orage a laissé la place à un soleil timide et quelques nuages, des cumulus ? Je redécouvre le jardin, les noyers, typiques de la région, la balançoire dans l'arbre, sur laquelle plus personne ne monte depuis longtemps, la table sous le gros chêne où nous prenons nos repas, quand il fait beau. J'emprunte le petit chemin qui mène à la piscine. Les parents de Jean l'ont faite construire l'été dernier, afin de louer la maison à un meilleur prix. Elle surplombe la vallée. C'est un endroit paisible, au milieu de la nature, hors du monde. Je m'installe sur une chaise longue, au bord de l'eau. Je me demande où Jean est allé. En vacances, il se lève tôt et a besoin de "profiter de ses vacances", c'est-à-dire établir un planning bien précis de tout ce qu'il doit faire : sport, visites, jardinage, et même les courses. La cuisine reste mon domaine. Je me dis que je pourrais faire des grillades ce midi, pour notre premier jour, avec une grosse salade. Je retourne vers la maison, en espérant que Jean sera rentré pour m'accompagner faire les courses. Je respire à pleins poumons et je jette un dernier coup d'oeil aux pins qui entourent la piscine. J'ai très faim, tout à coup.

 

J'émerge de ma sieste. Déjà quatre heures... Alice et Eric arrivent dans deux jours. Je descends me préparer du café. Jean est dans la cuisine, il s'active à tout ranger. "Tu as beaucoup dormi. Tu vas être encore plus fatiguée, tu sais." Je bâille en guise de réponse. "Je me fais un café, tu en veux ?"

Le soleil cogne, je flotte sur un fauteuil en plastique transparent. Jean lit au bord, sur un transat. Tout à coup, il saute dans la piscine, m'éclaboussant. Je peste. Puis, il grimpe sur mon fauteuil, achevant de me tremper. L'après-midi se traîne. Nous n'avons rien prévu pour le soir. Eric et Alice arrivent le lendemain. Finalement, Jean opte pour un dîner au restaurant en amoureux. Cela ne fait que trois ans que nous sommes ensemble mais parfois j'ai l'impression que notre couple est déjà usé et je ne sais pas quoi faire pour raviver la magie. Lorsque je fais des efforts, ils tombent à plat sous le coup de l'humour à froid de Jean. "Tu as un service à me demander, c'est ça ? Te fatigue pas..." Je me dis qu'un bébé, peut-être... mais je redoute d'en parler. Le vin de pays aidant, je me détends. La nourriture est bonne et copieuse : soupe paysanne, foie gras, omelette aux cèpes, fromage et gâteau aux noix.

"Et si on faisait un bébé ?" Jean m'observe avec attention. "Bien sûr, j'y ai pensé moi aussi. Mais on ne peut pas faire ça à la légère, il faut être sûrs de nous." J'acquiesce. Mais que veut-il dire ?

 

Je passe une nuit agitée. Je me tourne et me retourne en me demandant ce que Jean a voulu dire : sûrs de vouloir un bébé ou sûrs de vouloir rester ensemble ? J'aurais pu lui demander, j'aurais dû lui demander mais j'ai choisi l'incertitude plutôt qu'une vérité que je n'étais pas prête à encaisser. Ses marques de tendresse ne cessent de décliner mais il reste avec moi... Il y a des passages à vide dans tous les couples. Et moi, qu'est-ce que je veux ? Je ne veux pas quitter Jean, encore moins qu'il me quitte. J'ai trente-deux ans, pas mal de kilos en trop, je me sens moins sûre de moi et moins séduisante qu'avant, je ne veux pas être seule, je veux fonder une famille... Enfin, je m'endors, épuisée et tendue.

 

Le soleil est radieux ce matin, le ciel d'un bleu éclatant, mais un vent frais persiste à souffler. Nous allons chercher Alice et Eric à la gare. Nous avons un peu d'avance, nous nous installons pour prendre un café au "Terminal". Jean est impassible derrière ses verres fumés. Comment savoir ce que quelqu'un éprouve pour vous ? Il y a ce qu'il dit, mais il ne faut pas toujours s'y fier. Il y a ce que ses gestes trahissent mais on peut mal les interpréter. Jean règle l'addition et se lève. "C'est l'heure."

Eric est un ami d'enfance de Jean. Je l'aime bien, sans vraiment le connaître. Elancé, des yeux verts qui pétillent, un visage intéressant. Il marche devant d'un pas assuré, traînant Alice par la main, jolie comme un coeur dans une robe très décolletée.
Les deux hommes rient et plaisantent dans la voiture tandis que nous parlons plus calmement avec Alice, un peu intimidées. Nous nous sommes rencontrées à plusieurs reprises mais de là à passer des vacances ensemble... Je ressens un peu d'appréhension. Nous aurions peut-être mieux fait de profiter de ces vacances en tête à tête avec Jean, tenter de sauver notre couple...

 

Nous nous installons tous les quatre sous le gros chêne pour prendre l'apéritif. Eric semble content de lui, comme d'habitude, et Alice, très amoureuse. Jean est quant à lui subjugué par les seins d'Alice. "Alors, quoi de neuf ?" Je déteste cette question mais Eric me l'a posée avec gentillesse alors je m'efforce d'y répondre, je parle de ma promotion... Jean m'interrompt : "On est en vacances, là. Si tu pouvais éviter de parler boulot, ce serait gentil, vraiment." Il tente d'atténuer sa remarque couperet par un petit rire. Eric change de sujet.

Je suis mortifiée. Je fais le service, je sers les invités tandis que Jean boit et plaisante. Mais pour qui me prend-il ? Au dessert, Eric pose une main sur le ventre d'Alice, un sourire radieux flotte sur son visage. "On a une grande nouvelle à vous annoncer."

 

Je suis allongée sur un transat au bord de la piscine, j'ai gardé un tee-shirt en dépit de la chaleur. J'observe Alice à la dérobée. La grossesse lui va bien. Elle feuillette un magazine du type "Cosmo". Je tente de me replonger dans "L'inconsolé" de Kazuo Ishiguro, Alice s'est extasiée sur l'épaisseur du livre. Forcément, à côté de Cosmo... Je commence à me sentir aigrie. Jean m'a ignorée toute la journée, comme s'il avait honte.

Le soir, prétextant une migraine, je monte me coucher sans dîner. Qu'ils se débrouillent.

 

Le lendemain, j'apprends qu'Eric a préparé la veille un dîner aussi succulent que léger à base de basilic frais. Je sens la colère monter en moi, une rage froide qui m'effraie.

Après déjeuner, je pars me promener, seule. Cela m'apaise. Jean évite soigneusement d'évoquer la grossesse d'Alice. S'il s'intéressait un peu plus à moi, aussi, peut-être que je ferais plus attention à mon apparence. Et puis, il est loin d'être parfait lui aussi ! Peu à peu, je sens une certitude me gagner : j'aurai ce bébé, que cela plaise à Jean ou non.

Je rejoins les autres à la piscine. Le ciel s'assombrit à vue d'oeil mais l'air reste lourd et moite. Alice a abandonné Cosmo pour un recueil de pièces de Guy Foissy, c'est vrai qu'elle est comédienne. Eric semble dormir et Jean est perdu dans la contemplation du paysage - ou des courbes d'Alice. Mais tout à coup, cela n'a plus tellement d'importance. Je m'approche de lui et lui chuchote de mon ton le plus sensuel : "Ca te dirait, une sieste tous les deux à la maison ?"

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10 juin 2013 1 10 /06 /juin /2013 07:26

Faust_new_Kino_01810.jpg

image tirée du film "Faust" de Murnau

 

"I sent my soul through the invisible,

Some letter of that after-life to spell ;

And by and by my soul returned to me,

And answered, "I myself am Heaven and Hell"

 

Omar Khayyam

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22 avril 2013 1 22 /04 /avril /2013 18:13

Texte TRES inspiré d'une nouvelle de Dorothy Parker qui m'avait marquée... je l'ai écrit des années après avoir lu la nouvelle en question et en retombant dessus par hasard j'ai réalisé que j'avais vraiment eu bonne mémoire !

 

la-vie-a-deux.jpg

 

Il avait dit qu'il l'appelerait ce soir, pour qu'ils se voient. Il est dix-neuf heures. Ce serait logique qu'il l'appelle avant vingt heures, après, cela fait un peu tard. Elle est prête : elle s'est lavée, maquillée, habillée, parfumée. Son sac et son manteau sont à ses côtés. Elle est assise sur le bord du fauteuil et n'a rien envie de faire. Surtout pas d'attendre. Mais le téléphone reste muet. Peut-être qu'il avait l'intention de l'appeler après vingt heures, il est si imprévisible. Elle pourrait l'appeler mais ce serait reconnaître qu'elle attendait son coup de fil. Elle préfère paraître détachée. Qu'est-ce qu'elle peut bien faire en attendant ? Si elle arrête d'y penser, le téléphone retentira mais il ne peut pas sonner si elle l'espère trop fort. C'est certain. Elle s'efforce de penser à autre chose. Elle aimerait qu'il appelle... Non ! Ca ne va pas ! Elle jette un coup d'oeil dans le miroir : ses traits sont crispés, son regard anxieux. Elle essaie de se détendre en inspirant profondément. Peut-être qu'il avait dit qu'il appellerait s'il pouvait la voir... C'est tout à fait possible. Elle ne se rappelle plus très bien, ses idées sont toutes embrouillées. Dans ce cas, elle peut l'appeler, juste pour être sûre... Non, il ne faut pas, sa fierté est en jeu. S'il ne pense pas à l'appeler, elle ne doit pas y penser non plus. Le téléphone ne sonne toujours pas. C'est incroyable ce que ce petit bout de plastique blanc, obstinément silencieux, a l'air antipathique. Elle le balance avec rage. "Tu vas sonner, oui ?" Là, elle perd un peu le contrôle... Elle ramasse son téléphone, se rassoit. Dix-neuf heures quinze. Elle attend jusqu'à dix-neuf heures trente et après... Après, quoi ? Il faudra continuer d'attendre, au moins jusqu'à vingt heures. Une tension incroyable s'est formée en elle.

Il est peut-être encore au travail, il finit souvent tard. Oui, c'est sûrement ça. Mais il pourrait l'appeler pour la prévenir. Ou alors il est sur le chemin du retour et attend d'être chez lui pour l'appeler. Mais peut-être qu'il l'a oubliée, tout simplement. A l'heure qu'il est, il est chez lui, bien au chaud, et il ne pense absolument pas à elle. Ou pire... il est sorti, sans elle. Mieux vaut ne pas y penser, ça lui arrache le coeur. Mais il a aussi pu lui arriver quelque chose... Les événements vraiment graves n'arrivent qu'aux autres, jusqu'à ce qu'on soit touché. Elle devrait l'appeler. Mais cela risque de l'énerver, s'il est encore au travail. Elle aimerait vraiment le voir ce soir, il la fait toujours attendre ! Pourquoi ne pas lui dire : "Je t'appelle à dix-neuf heures" et l'appeler à dix-neuf heures ? Ce serait si simple, elle n'aurait plus à se torturer ainsi. Qu'est-ce qu'elle peut faire ? Rien. Attendre. Attendre. Et si le téléphone sonne et que ce n'est pas lui ? Elle ne pourra pas parler avec son interlocuteur de peur qu'il appelle et qu'elle le râte. Faites que personne d'autre n'appelle ! Ca y est, elle se sent vraiment angoissée. Est-ce qu'il l'aime ? S'il l'aimait, il ne la laisserait pas dans un état pareil, il aurait senti sa détresse, il aurait appelé. C'est lamentable. Elle se lève, se rassoit. Mais que fait-il ? Pourquoi il n'appelle pas ? Elle entend le silence du téléphone. Il est devenu insistant, omniprésent. Elle attend tellement une sonnerie qu'à chaque seconde, elle est .persuadée qu'elle va se déclencher.
Elle n'y croit plus, il n'appellera pas. C'est toujours pareil. Elle va se démaquiller, se déshabiller et se coucher, épuisée par la tension nerveuse. "Sonne, sonne, je t'en supplie !" Rarement prière aura été aussi fervente. Il a peut-être perdu son portable ou il se l'est fait voler... dans ce cas, s'il n'a pas noté son numéro quelque part - et ça ne lui ressemble pas d'être aussi prévoyant - il ne peut pas la joindre. Il faut qu'elle vérifie, qu'elle l'appelle. Elle compose le numéro, raccroche, hésite. Il est dix-neuf heures trente. Elle ferait mieux d'attendre encore un peu, si ça se trouve, il va l'appeler dans cinq minutes. Ce foutu téléphone finit par sonner. Son coeur s'emballe, elle décroche d'une main tremblante. Bien évidemment, ce n'est pas lui. "Maman, j'attends un coup de fil, je suis désolée, je ne peux pas parler longtemps." Sa mère a beau comprendre, elle monologue dix bonnes minutes avant de finir par raccrocher. Il a sûrement essayé de l'appeler. Il réessaiera. Mais s'il est énervé, s'il ne rappelle pas ? C'est à elle de l'appeler, maintenant. D'ailleurs, il est presque vingt heures. Elle compose le numéro, elle respire mal. Mais personne ne répond.

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4 janvier 2013 5 04 /01 /janvier /2013 14:07

"Yesterday upon the stair

I met a man who wasn't there.

He wasn't there again today

I wish this man would go away."

 

William Hughes Mearns - Antigonish

 

escalier.jpg

 

Pour moi, l'équivalent de William Hughes Mearns en peinture, c'est René Magritte pour le côté absurde et onirique... mais finalement j'ai opté pour un escalier en me disant qu'on y voyait bien l'homme qui n'était pas là !

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6 juillet 2012 5 06 /07 /juillet /2012 04:55

youri lit

 

"Lire, c'est voir dans sa tête

A l'intérieur de soi

C'est le plus actif, le plus puissant ; le plus humble des passe-temps

On ressuscite des morts

On donne vie à un ou plusieurs êtres

A des mots

A des concepts

A sa conscience

Voilà pour les qualités

Le défaut majeur de la lecture

C'est de nous faire trop souvent rater la station de métro

Où il fallait descendre."

 

                                                   Kent

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23 mars 2012 5 23 /03 /mars /2012 19:39

Fantomes.jpg

 

La mort n'est rien.

Je suis seulement passé dans la pièce à côté. 

Je suis moi. Vous êtes vous.

Ce que j'étais pour vous, je le suis toujours. 

Donnez-moi le nom que vous m'avez toujours donné, parlez-moi comme vous l'avez toujours fait.

N'employez pas un ton différent, ne prenez pas un air solennel ou triste.

Continuez à rire de ce qui nous faisait rire ensemble. 

Priez, souriez, pensez à moi, priez pour moi. 

Que mon nom soit prononcé à la maison comme il l'a toujours été, sans emphase d'aucune sorte, sans une trace d'ombre. 

La vie signifie tout ce qu'elle a toujours été.

Le fil n'est pas coupé.

Pourquoi serais-je hors de vos pensées, simplement parce que je suis hors de votre vue ?

Je ne suis pas loin, juste de l'autre côté du chemin. 

 

Canon Henry Scott-Holland (1847-1918), traduction d'un extrait de "The King of Terrors", sermon sur la mort 1910
Quelquefois attribué à Charles Péguy, d'après un texte de Saint Augustin

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