J'avais découvert Hanif Kureishi avec son roman "Intimité" et été séduite par sa plume délicate pour décrire les sentiments qui nous dirigent.
"Nous marchions ensemble, perdus dans nos pensées. Je ne sais plus où nous étions, ni même quand cela se passait. Puis tu t'es approchée pour me caresser les cheveux et me prendre la main ; je sais que tu me tenais la main et que tu me parlais doucement. Soudain, j'ai eu l'impression que tout était parfait, qu'on n'aurait plus rien à ajouter à ce bonheur, à ce contentement. C'était tout ce qui était, tout ce qui pouvait être. Le meilleur de tout était concentré dans cet instant et ce ne pouvait être que de l'amour."
J'ai retrouvé cette écriture fine et sensible dans "La lune en plein jour" (titre original "Midnight All Day"), un recueil de dix nouvelles autour du thème récurrent et un peu obsessionnel de l'amour qui s'étiole et de la difficulté à reconstruire sa vie.
Hanif Kureishi parvient en quelques phrases à faire naître de magnifiques atmosphères mélancoliques chargées pourtant d'une petite note d'espoir...
"Je reste planté sur le seuil du salon de thé à la regarder retraverser le parc sous les arbres, elle a un parapluie blanc et, son fils courant devant elle, elle marche d'un pas si léger que c'est à peine si elle dérange les gouttes de pluie sur l'herbe. Je suis sûr que c'est son rire que j'entends flotter dans l'air comme un djinn impalpable."
Les personnages de ces histoires en sont presque tous à leur deuxième vie, ils n'ont plus la même fougue, ont perdu au passage quelques illusions mais veulent encore croire à l'amour, au bonheur.
"Quatre chaises bleues" est une métaphore assez insolite de ce combat. La tension est palpable autour d'une situation en apparence anodine - ramener quatre chaises bleues - et pourtant lourde d'enjeux.
"Des cailloux à sucer" est assez cruelle : on y assiste à la rencontre entre une aspirante écrivain et une écrivain à succès qui ne s'intéresse à elle qu'en tant que personnage potentiel de son prochain roman. Le mécanisme de la création, nos passions, rêves, le talent, le succès, y sont disséqués sans concession. Et au final, il ne reste que "des cailloux à sucer".
La dernière nouvelle, "Le pénis" m'a complètement déroutée. L'aspect surréaliste que j'apprécie normalement beaucoup m'a semblé ici juste grotesque.
J'ai aimé la thématique de ces nouvelles : l'amour, le temps qui passe, la peur de vivre sa vie, la création mais j'ai un peu regretté d'avoir l'impression de retrouver sans cesse le même personnage, cet homme d'âge mûr légèrement déprimé qui a quitté sa femme et ses enfants pour vivre son désir pour une femme plus jeune, sorte de reflet à l'infini de Kureishi.
"Je me rends compte, depuis ma liaison avec Florence, qu'il n'y a pas de plus dangereuse dissimulation que ce qu'on n'ose pas dire."
"On est infaillible dans le choix de ses amants, surtout quand on cherche la personne qui ne convient pas."
"C'était si simple de tomber amoureux : on n'avait qu'à se laisser aller. Mais s'habituer à quelqu'un d'autre, entretenir un amour, c'était un sacré travail, pas facile."
"La littérature ne recommande rien. Ce n'est pas un guide mais tu as quand même appris que l'imagination soulève quelque chose pour l'emmener ailleurs, en le modifiant dans son envol. L'idée originale n'est qu'un prétexte."
Et, au passage, une jolie définition de la paternité (valable aussi, à mon sens, pour la maternité !) : "Ca m'a pris un moment, mais je m'habitue à être à sa disposition et à profiter de sa présence plutôt que de considérer ce que je veux comme le plus important."