Une photo, quelques mots
Atelier d'écriture proposé par Leiloona
Crédit photo : Romaric Cazaux
Lorsque je cours, je ne m'arrête jamais, je dis à peine bonjour aux gens que je croise. Mon i pod sur les oreilles, je m'évade, je fuis... Mais je ne sais pas pourquoi, cette silhouette de dos m'a interpelé, attiré. Plus les années passent et plus j'aime la compagnie des gens âgées. Ils ont beaucoup à nous apprendre, si on leur en laisse la possibilité. Plus les années passent et plus la solitude m'effraie aussi. Cette femme... est-ce bien une femme ? Les personnes âgées sont comme les nouveaux-nés, parfois on a un doute... Cette personne a l'air plongée dans sa contemplation, perdue dans ses pensées. Je suis parcouru d'une envie fulgurante, un besoin de les découvrir. J'ôte mes écouteurs, je ralentis ma foulée... et j'hésite à repartir en courant car j'aperçois son visage baigné de larmes. Que fait-on dans ces cas-là ? En ville, j'aurais détourné les yeux, fait semblant de ne pas voir, comme tout le monde, un peu par pudeur, par indifférence, par peur. Le malheur on l'évite tant qu'on peut, comme s'il était contagieux. A la campagne où l'on ne rencontre pas une âme qui vive sur des kilomètres, c'est différent... La possibilité de retrouver des rapports humains, réels, me titille. M'éloigner de Facebook et mes cent quarante-six amis fictifs qui me lancent des "likes" à tout va mais n'ont pas été fichus d'être là pour moi alors que je perdais pied. Ma colère me décide. Je m'approche...
Nous sommes attablés dans la cuisine de Maud devant un thé, nous mangeons des croquets piochés dans une boîte en fer et parlons, parlons...
Maud de la perte de son mari il y a deux ans mais c'est comme si c'était il y a deux mois, une amputation d'une partie d'elle-même, ses enfants et petits-enfants qui sont loin, sa tristesse de vieillir seule, même si on s'habitue, ses jambes qui ne fonctionnent plus bien et sa peur de finir en maison de retraite... Et moi de ma vie citadine trépidante et dénuée de sens, ma difficulté à me poser, ces quelques jours dans un gîte pour réfléchir, mes pensées qui tournent en rond en toute stérilité...
Cette femme inconnue m'écoute comme mes amis, ma famille n'ont pas su le faire. Avec intensité, sans me juger. Et même si les solutions que je recherche semblent encore bien lointaines, ça me fait du bien. Ca me fait du bien de parler avec quelqu'un de vrai ! J'ai envie de la remercier, de lui offrir un cadeau... Et soudain, je sais : je vais lui installer une web cam pour qu'elle puisse voir ses enfants !
Je cours, paisiblement. Je respire l'odeur de mouillé après la pluie, je sens le souffle du vent sur mon visage, suis la course des nuages... je me sens vivant ! Les jambes de Maud continuent à la soutenir vaillamment même si elle se repose de plus en plus sur sa canne. Et je crois que la joie de voir grandir ses petits-enfants la porte aussi un peu.