Je ne sais pas trop ce que je pensais lorsque je me suis laissée convaincre par Rémi de passer ce week-end prolongé dans un gîte dans les Cévennes... Je voulais aller à Prague, déambuler dans de petites ruelles tortueuses et savourer un bon chocolat chaud. Mon idée d'un week-end romantique... Pas celle de Rémi à en juger par les trois boîtes aux lettres qui se battent en duel à l'entrée... à l'entrée de quoi d'ailleurs ? Un mur de pierres et derrière, une étendue de campagne vierge. Toute vie humaine semble hautement improbable au-delà ou alors dans une yourte ! Mais Rémi a les yeux brillants et cela fait longtemps qu'il ne m'a pas paru si animé et heureux alors je fais contre mauvaise fortune... Une ouverture fait office de porte dans le mur, nous la franchissons.
J'aperçois une ferme, et deux maisons. Je reste plantée là avec ma petite valise. Je pense aux dossiers sur lesquels j'avais prévu de travailler et que Rémi m'a convaincue de laisser à Paris et je les regrette déjà. Le bruit des cloches des vaches me fout vaguement le cafard. Le week-end va être long... Depuis que Rémi a passé quelques jours dans ce fameux gîte, seul, "pour réfléchir", je dois bien reconnaître qu'il a changé. Mais je ne suis pas sûre de pouvoir m'habituer à ces changements : iI est devenu un peu "ours" pour tout dire. Alors oui, j'apprécie qu'il soit plus attentionné envers moi mais nos soirées mondaines me manquent.
A peine sommes-nous installés que Rémi veut ressortir, pour me présenter son "amie" Maud. Il l'a rencontrée lors de son fameux séjour au gîte et j'en ai tellement entendu parlé que j'en aurais fait une rivale, si elle n'avait pas l'âge d'être ma grand-mère.
Rémi m'entraîne à travers la campagne, j'ai du mal à le suivre, comme d'habitude. Nous arrivons enfin chez Maud qui nous accueille avec chaleur. Je me sens intimidée, mal à l'aise. Cette femme a un regard perçant derrière ses lunettes à grosse monture démodée. Rémi et elle partagent une complicité dont je me sens exclue. Je finis par prétexter une migraine pour m'éclipser.
Le soir, Rémi se montre tendre et attentionné et j'essaie de me détendre mais je suis inquiète. J'ai besoin de l'agitation et du bruit de la ville. Si Rémi se met à nous prévoir régulièrement de telles escapades, je vais avoir beaucoup de mal à le suivre.
"J'ai pris une grande décision !"
Je n'apprécie que très moyennement l'annonce fracassante de Rémi. Quand on est en couple, on consulte l'autre avant de prendre une grande décision... non ?
"Ah ?
- Oui ! J'ai décidé de m'installer à la campagne !
- [...]
- Tu ne dis rien ?
- Tu veux que je dise quoi ? On va être séparés, génial !
- Mais non, tu viens vivre avec moi bien sûr !"
Un sentiment de panique m'envahit. Quitter Paris, la ville de mon coeur, pour un coin de campagne paumé ? Je me reprends : quitter Paris pour l'homme que j'aime... Mon amour ne me semble pas assez fort.
"Mais j'ai ma vie à Paris, mon travail, ma famille, mes amis...
- On pourra y retourner régulièrement, garder un pied à terre, tu m'avais dit que ton boss envisageait de développer le télétravail ?
- C'est si soudain, là... J'ai besoin de réfléchir...
- Bien sûr... Mais imagine juste une vie paisible, retrouver l'essentiel, respirer, prendre le temps, cesser cette course infernale absurde, voir grandir nos enfants ailleurs que dans un coin de bitume..."
Rémi m'enlace mais je reste crispée.
La nuit, impossible de mettre mon cerveau au repos. Je frissonne dans mon débardeur et mon mini short à fleurs. Je repense à la période difficile que nous venons de traverser avec Rémi. Il avait l'air déprimé, impossible de le faire parler de ce qui le tracassait, il marmonnait des "Ca va" sans conviction et je commençais à avoir peur pour notre histoire si heureuse jusque-là... Il était parti quelques jours, pour "réfléchir, prendre du recul". J'avais cru tout perdre. Mais il était revenu détendu et apaisé et notre vie avait repris comme avant... Enfin, presque.
Cette fois, c'est différent, la suite de notre histoire dépend de mon choix, à moi. Et c'est d'autant plus vertigineux. L'image de ces trois boîtes aux lettres et de ce mur m'obsède... Mon amour pour Rémi n'est peut-être pas assez fort mais je me sens incapable de renoncer à la vie que j'aime, ma vie, pour lui. Je le regarde dormir paisiblement. Pourtant, je l'aime.