crédit photo : Marion Pluss
Nous nous étions toujours ignorés, fuis même... Nous n'avions rien en commun : les Deudés étaient des êtres plats, sans relief, laborieux. Nous les regardions de haut, avec dédain. Ils affichaient pourtant un petit sourire incompréhensible. Comment pouvait-on se satisfaire de cette vie misérable ? Nous, les Troidés, étions flamboyants, libres et fiers. Nous pouvions nous déplacer à notre guise tandis que les Deudés étaient condamnés à raser les murs...
Et puis, il y a eu la Grande Peur. Ceux qui ne l'ont pas connue ne peuvent pas comprendre. C'était d'ailleurs incompréhensible, on n'avait rien vu venir. Les Deudés s'en sont beaucoup mieux sortis, peut-être parce qu'ils étaient protégés par leurs murs. Nous n'étions plus si fiers ni flamboyants. Parfois, je me surprenais à avoir envie de m'aplatir, de me fondre dans un mur. Nous baissions la tête pour ne pas avoir à croiser le regard des Deudés, ne plus voir leur petit sourire qui semblait dire "On vous avait prévenus..."
J'errais, désoeuvrée, je revenais souvent dans des endroits du passé, où j'avais été heureuse, mais tout avait changé, tout était triste et dévasté. Peut-être aussi parce que je l'étais. Les Deudés s'étaient remis au travail, ils rebâtissaient ce qui avait été détruit et je me sentais inutile, vaguement honteuse. Je n'osais pas les regarder. Un Deudé me dévisageait pourtant avec insistance. Même si je détournais les yeux, son regard me brûlait la peau. Je finis par trouver le courage de lever les yeux vers lui, je croisai son regard pétillant qui me dévorait, son sourire délicieusement enfantin. Mon visage s'échauffa, je murmurai : "Je peux vous aider ?" Il tendit la main à travers le mur et je vis qu'il n'était pas si plat, juste différent. Et ça me plaisait bien.
Atelier d'écriture proposé par Leiloona