"Shokuzai" est un film fleuve de Kiyoshi Kurosawa (plus de quatre heures heureusement divisées en deux parties) qui est à l'origine l'adaptation d'un best-seller de Minato Kanae pour une série télévisée.
La sobriété de la réalisation donne à ce film un relief inattendu.
D'événements en apparence ordinaires naissent des situations inattendues limite surréalistes. Ainsi, le jeune homme de bonne famille qui insiste pour épouser Sae souhaite en réalité en faire "sa poupée". Une enseignante qui s'initie au kendo prend des allures de samouraï et une jeune femme est persuadée d'être "un ours".
L'utilisation de la lumière et la musique renforcent les effets narratifs. Les actrices sous des masques impassibles véhiculent une émotion forte.
"Shokuzai" explore la façon dont une tragédie s'ancre pour imprégner ceux qui l'ont vécue, chacun tentant de vivre avec, l'intégrer, tenter de la dépasser... Malheureusement, le poids du destin semble inéluctablement rattraper les protagonistes.
"Shokuzai" c'est la pénitence à laquelle la mère d'Emili condamne les quatre camarades de sa fille incapables de se souvenir du visage de son assassin. Le personnage de cette mère vengeresse, sorte d'ange noir, est un rappel incessant de l'impossibilité d'oubier.
Les quatre premiers chapitres suivent la vie des quatre fillettes quinze ans plus tard. Elles n'ont pas oublié la promesse faite à la mère de leur amie et gardent des séquelles profondes du drame. Chacune de ces tranches de vie est passionnante. Derrière l'apparente banalité du quotidien flotte toujours une étrangeté inquiétante dont naissent une certaine poésie et des interrogations métaphysiques.
J'aime la phrase de Kurosawa selon laquelle "Le fantastique est un moyen de représenter un état psychologique".
Le dernier chapitre "Rédemption" axé sur l'histoire de la mère m'a beaucoup moins emballée. J'ai trouvé gênantes toutes ces explications de dernière minute alors que la force du film tient plutôt au mystère qu'il laisse planer.