crédit photo : Romaric Cazaux
Nous profitons des derniers rayons sur la terrasse. Alors que le jour s'achève, la chaleur s'attarde. Nous buvons un verre de rosé bien frais en admirant le coucher de soleil. Tout est parfait : le calme qui monte de la nature, les odeurs de terre chaude... jusqu'aux pissenlits légers qui s'effeuillent seuls dans la brise tiède. Je regarde Gabriel. Je ne suis pas tranquille. Je l'aime cet homme-là mais je sais bien que notre histoire est une fuite dont je vais devoir affronter - seule - les conséquences.
La passion dévastatrice... j'avais toujours cru que ce n'était pas pour moi, je la vivais par procuration dans les livres, les films, les histoires des autres que j'écoutais, avide de détails. Je me croyais trop rationnelle, ma lucidité était mon armure. Ma vie, je l'avais construite à mon image : organisée, efficace... banale ? Mariée, deux enfants, un bon job, des amis pour sortir ou partir en vacances, une famille avec laquelle partager les fêtes ponctuant le calendrier. Mais derrière cette façade lisse, une ombre grandissait... une insatisfaction, un manque. Je devenais étrangère à ma propre vie. Une automate qui accomplit les tâches qu'on attend d'elle : gérer les dossiers, les clients, aller chercher les enfants à l'école, surveiller les devoirs, donner le bain, préparer le dîner... Chaque jour identique au précédent. Une succession de matins gris. La machine s'est enrayée. Au début, c'étaient de petits oublis que mon mari me reprochait l'air indulgent : le sac de piscine des enfants, l'anniversaire d'un filleul... Et puis, ça a cessé de l'amuser quand il rentrait et trouvait des plats tout prêts encore dans leur barquette, parfois mal décongelés.
J'ai cessé d'instaurer des rituels, des règles, je laissais dépasser l'heure du bain, les devoirs n'étaient pas faits, les enfants se chamaillaient tandis que je me réfugiais dans la cuisine pour siroter un verre de vin, les yeux dans le vague. Je me débattais pour échapper au poids oppressant qui m'asphyxiait.
J'ignore où cela nous aurait conduit si je n'avais pas rencontré Gabriel. En un sens, il a sauvé mon couple, ma famille. Pour l'instant. Je savoure cette soirée d'été aux teintes chaudes. Je m'en imprègne pour avoir la force d'affronter tous les matins gris qui ne manqueront pas de suivre.
Atelier d'écriture proposé par Leiloona