crédit photo : Romaric Cazaux
J'adore regarder passer les gens. J'imagine leur vie, leurs états d'âme, c'est mon côté voyeur. Je me suis souvent imaginé proposer d'aller boire un café à l'un d'eux au hasard, me glisser dans sa vie. Parce que la mienne ne me suffit pas. C'est vraiment dommage quand on y pense d'être limité à une seule vie. Je ne saurai jamais ce que ça fait de porter la vie dans ses entrailles et tant d'autres choses qui dépassent le simple fait d'être un homme. Mais on est conditionné : par sa naissance, sa famille, ses choix... Alors j'observe les passants et je rêve à mille et une autres vies, pas forcément plus passionnantes que la mienne mais différentes. En général, je suis à côté du Pont des Arts, ça doit être mon côté romantique... Tous ces couples qui scellent leur amour d'un cadenas me fascinent. Le cadenas pour moi c'est un symbole d'enfermement, de prison... Ce serait ça, le couple, renoncer à sa liberté ? Je cherche un autre symbole, partager quelques bouffées de fumée, un peu de légèreté ? Je contemple l'eau verdâtre de la Seine. J'ai souvent imaginé le grand plongeon mais je ne suis pas si courageux, le contact avec l'eau glaciale tranchante m'effraie. Je reporte mon attention sur les badauds qui déambulent sur le pont en bois. Il n'a pas l'air bien solide... Une jeune fille attire mon attention, elle retire un cadenas, des larmes plein les yeux. J'admire sa détermination, le retrouver parmi ces milliers d'objets semblables, le forcer pour le retirer... Un peu comme on décide d'effacer le tatouage dédié à la personne dont on pensait partager la vie à jamais. Je la regarde s'escrimer et je me décide à l'aider, elle a l'air sympathique. Elle sursaute quand je m'approche, je fais souvent cet effet-là.
"Vous permettez ?"
Je sors un couteau suisse et en quelques secondes, j'obtiens le cliquetis recherché.
La jeune fille me sourit timidement.
"Merci...
- Je peux vous offrir un café ?"
Elle hésite puis hausse les épaules d'un air résigné.
"Si vous voulez."
Au fond de moi, je jubile. Je passe enfin de l'autre côté, dans la vie d'un de ces passants dont je ne fais qu'imaginer la vie. Je suis excité, comme si j'étais sur le point de découvrir un trésor.
Elle commande un chocolat chaud, se confie longuement sur ce petit ami qui l'a quittée et... je m'ennuie. Je la trouve banale, tellement adolescente. Ce n'est pas la jeune fille pleine de caractère que je m'étais imaginée.
"Cela m'a fait du bien de vous parler !"
Elle me sourit franchement cette fois. Je lui rends son sourire sans ouvrir la bouche, une habitude visant à masquer les dents qui me manquent. Elle insiste pour payer mon café et je la laisse faire, les temps sont durs. Et puis nos chemins se séparent, je vais retouver mon banc d'où je contemple la vie des autres et elle sa vie qui reste à construire.
Atelier d'écriture proposé par Leiloona