crédit photo : Romaric Cazaux
Sa main est serrée sur la rampe de l'escalier, son regard chargé d'une colère brûlante et je frémis en imaginant la pensée qui lui a traversé l'esprit.
Sonia tempête. Elle tire Marie par la main qui est fatiguée, ne veut plus marcher, veut une glace, ne sait pas ce qu'elle veut... Un peu en retrait, je me réfugie dans la contemplation de la splendeur de cette ville irréelle, comme un décor... Ce sont nos premières vacances à l'étranger tous les trois. Nous avons choisi Rome, une ville que nous connaissons déjà, afin d'éviter toute frustration. Avec la fin des couches, de la poussette et de la sieste, nous pensions retrouver un peu de liberté. Le régime italien pizza pâtes glaces semblait parfait pour satisfaire une fillette de quatre ans. Mais ce n'est pas si simple... Je regarde ma femme se métamorphoser. Quand nous nous sommes rencontrés, j'avais été intrigué par son calme. C'était comme si elle portait un masque dissimulant toute émotion. Je voulais le lui arracher, voir son beau visage impassible déformé par un rictus de plaisir. Mais Sonia est demeurée une énigme et c'est peut-être pour cela que je l'ai épousée.
"Bon, tu m'aides un peu ? Ou tu préfères rester planté là, sans rien faire ?"
Perdu dans mes pensées, je n'ai pas remarqué que Marie était passée du ton geignard aux hurlements hystériques et coups dans tous les sens, stade ultime du caprice.
J'interviens mollement : "Marie, ma chérie, calme-toi, je vais te porter si tu veux..."
"C'est ça, porte-la ! Je te demande de m'aider, pas de lui céder !"
Sonia attrape brutalement Marie par le bras, la tirant pour la faire avancer, les cris de la petite redoublent...
Je n'aurais jamais imaginé que le masque de Sonia tomberait de cette façon... Elle voulait tellement un enfant... Mais rien ne s'était passé comme prévu : une grossesse à risque qui l'avait clouée au lit pendant six mois, un bébé qui dormait peu et pleurait - pour ne pas dire hurlait - beaucoup... La fatigue avait eu raison du calme à toute épreuve de ma femme.
Sonia me jette un regard plein de rage et me lance : "Occupe-toi d'elle, on se retrouve à l'hôtel. Je n'en peux plus !"
J'enveloppe Marie dans mes bras, elle se calme peu à peu et je l'emmène déguster une glace dans un salon de thé. La saveur glacée de la pistache me chatouille le palais. J'offre un sourire de façade à ma fille barbouillée de chocolat mais mon esprit est à l'hotel avec Sonia.
Pour notre dernier jour, Sonia a insisté pour que nous nous rendions au Vatican. Je traîne les pieds, un vague pressentiment me hante. Dans les musées, nous nous trouvons face à un escalier imposant et interminable. Un frisson me glace le coeur.
"Je vais porter Marie."
Sonia me jette un regard de biais.
"Pourquoi ? C'est une petite fille de quatre ans en parfaite santé, elle peut bien monter un escalier."
Que faire ? Comme toujours, je préfère céder.
Marie commence à escalader les marches avec enthousiasme et je me détends. Sonia arbore un air victorieux. Soudain, Marie glisse et dégringole les marches avec fracas. Je me précipite pour la relever. Elle a l'air surpris et l'espace d'une seconde, le temps est comme suspendu... Mais ses hurlements retentissent aussitôt avec vigueur dans l'escalier en spirale. Les touristes lui jettent des regards pleins de compassion, une jeune femme lui tend une sucette avec un sourire... Mais où est Sonia ?
A quelques pas, elle serre la rampe de l'escalier avec force, ses jointures toutes blanches. Sa respiration est saccadée et son regard me glace le sang.
Atelier d'écriture proposé par Leiloona