La photo trône sur le manteau de la cheminée, entourée de bougies. Le salon est plongé dans l'obscurité, tout est ordonné, immobile, figé. Il règne un silence inhabituel dans le petit deux pièces, qui résonne encore de cris et de pleurs.
Dans la chambre, Valérie est étendue sur le lit jonché de peluches de sa fille. Un bras sur les yeux comme pour se protéger de la cruauté du monde extérieur, ou peut-être de ses pensées assourdissantes.
Toute petite déjà, elle avait une âme d'artiste, une mère sent ces choses là... Elle ne l'a pas poussée, Jade aimait ça. Elle adorait se déguiser et inventer des danses pour faire des spectacles ! Et qui ne rêve pas de prendre des cours de danse, de théâtre, de courir les castings ? Elle a sacrifié sa vie pour elle. Jade, son joyau, son trésor, sa vie. Elle a tout fait pour elle, tout sacrifié... Et ce médecin entêté qui semble la tenir responsable de ce qui est arrivé ! Bien sûr, Jade suivait un régime ! Toutes les danseuses suivent un régime ! Il a dérapé, voilà tout. Ce n'est ni sa faute, ni celle de son pauvre amour. Elle a bien essayé de la faire manger, la poursuivant avec une compote, la suppliant d'en manger juste une cuillerée... Mais Jade se dérobait, obstinée, dégoûtée. Elle prétendait manger "à l'extérieur" et Valérie faisait semblant d'y croire car elle ne pouvait pas lutter sans cesse. Elle a tout essayé : la douceur, la persuasion, la colère, le chantage... Mais elle se heurtait à un roc inflexible. Dans le fond, elle admirait aussi un peu sa fille, sa volonté de fer, elle qui avait toujours été incapable de faire un régime et de s'y tenir...
Au fond d'elle, une autre voix s'agite qui lui donne un peu mauvaise conscience alors elle l'étouffe car ce serait trop dur à porter et sa fille a besoin qu'elle soit forte.
Ce soir, comme tous les soirs, Valérie ira contempler la photo de Jade, son visage aux traits parfaits, ses yeux limpides dans lesquels se devine une certaine tristesse, et s'imprègnera de la beauté de sa fille pour essayer d'oublier la dernière image qu'elle en garde, cette silhouette squelettique et ces yeux trop grands pour son visage décharné qui l'effraient et ne cessent de la hanter.
Atelier d'écriture proposé par Leiloona