crédit photo : Kot
Nous quittons enfin l'appartement de ma belle-mère, lestés de saumon, fois gras, dinde aux marrons et bûche au chocolat et encombrés de cadeaux, certains encore non ouverts... L'estomac et les bras chargés, nous tanguons en direction du métro manoeuvrant tant bien que mal la poussette où Noa, à bout d'excitation, a fini par sombrer. Nous marchons vite, dans un silence fatigué. Le bip strident de mon portable me fait sursauter. Je le consulte machinalement. L'esprit un peu embrumé par la fatigue et l'alcool, je dois le relire plusieurs fois... Baptiste ! Qui m'écrit pour me souhaiter un Joyeux Noël... Fred ne semble pas remarquer mon trouble. Je réponds à Baptiste le coeur battant, lui souhaitant également un Joyeux Noël et ajoutant, après réflexion, que cela me ferait plaisir de le revoir. Je mets ça sur le compte de la nuit de Noël, après tout, on se sent plein de bienveillance envers tout le monde, non ?!
Une partie de moi est auprès de Fred et Noa, je commente les menus événements de la soirée, les disputes habituelles de famille, les cadeaux décevants, tandis qu'une autre partie analyse le texto de Baptiste, pèse et soupèse les implications, se demande même s'il est bien réel...
Baptiste, mon premier et unique amour passionné. J'étais tellement sûre que c'était l'homme de ma vie, j'aimais tout en lui, sa générosité, son sourire qui creusait son visage de petites rides et surtout son allure souple et nonchalante, féline, de danseur. Et il m'aimait de la même façon, entière et passionnée. Mais, il y avait un "mais" malheureusement. Baptiste était marié et n'arrivait pas à quitter sa femme, la peur de la faire souffrir, le baratin habituel... J'en avais bien bavé ! Jusqu'à ce qu'ils aient un enfant... Je comprenais enfin les discours réprobateurs de mes amis qui estimaient que Baptiste jouait sur les deux tableaux, profitait de la situation, de moi, tandis que j'étais dans l'attente et que je passais à côté de ma vie. Je m'étais retirée du jeu. J'avais dû me faire violence, l'impression d'arracher une partie de moi-même. Mais j'avais tenu bon et nous ne nous étions jamais revus ni même contactés. Jusqu'à ce soir de Noël... Pourquoi me recontacter maintenant, après toutes ces années ? J'attends sa réponse à mon message avec une curiosité grandissante.
La réponse tarde, me laissant l'impression d'avoir vécu un songe. Je sirote un café pendant que Noa fait sa sieste, je savoure le calme retrouvé d'autant plus précieux qu'il est rare. Mon portable est en mode silencieux mais j'avise l'écran qui s'allume : "Bonjour Garance, oui, ça me ferait plaisir de te revoir. Nous pouvons nous rencontrer demain à 19h au café Martini ? Je t'embrasse. Baptiste" Les rouages de mon cerveau s'emballent, j'ai mon cours de pilates demain à cette heure-ci, je peux me libérer sans problème et surtout sans que Fred ne se doute de rien. Pourquoi remuer ce passé ? J'essaie d'être totalement honnête avec moi-même, à défaut de l'être avec mon mari... J'aime Fred bien qu'il soit l'exact opposé de Baptiste... parce qu'il est l'exact opposé de Baptiste : rassurant, solide, terre à terre... Mais j'ai besoin de m'évader de cette vie routinière et Baptiste représente un interdit attirant.
Je me prépare pour me mettre en valeur sans trop m'apprêter... tout un art ! Et je fais en sorte d'arriver légèrement en retard. Pas si facile, je suis ponctuelle malgré moi... Lorsque j'arrive devant le café, je l'aperçois immédiatement, figé dans une de ses poses élégantes. Il fume une cigarette appuyé contre un poteau. J'ai un coup au coeur en remarquant son visage décharné. Baptiste a toujours été mince mais sa maigreur est devenue maladive, elle me fait mal. Il semble presque irréel, immatériel. Un fantôme du passé.
Plongé dans ses pensées, il ne me voit pas. Je lui jette un dernier regard et je tourne les talons, c'est comme si mon corps avait décidé pour moi. De laisser ce fantôme en paix.
Atelier d'écriture proposé par Leiloona