crédit photo : Romaric Cazaux
Il s'était laissé convaincre avec molesse par sa femme. Passer des vacances "rustiques" dans un gîte, c'était bien une lubie de Clara. C'est sûr que ça changeait de leurs vacances en club au bord d'une plage paradisiaque chaque fois différente et pourtant toujours étrangement semblable. Les enfants avaient un peu râlé mais Clara leur avait parlé d'une piscine découverte, de ballades à cheval et ils s'étaient laissés contaminés par son enthousiasme. Le seul problème, c'est que depuis le début, il n'arrêtait pas de pleuvoir. Un rideau mouillé qui vous laissait trempé, transi et le vague à l'âme. Le matin, ils se sentaient en général ragaillardis. Ils savouraient des tartines de confitures faites maison, fraise-menthe, abricot-châtaigne... il faudrait qu'ils en rapportent ! Ils retrouvaient le sourire et espéraient une éclaircie mais le ciel restait obstinément triste et sombre.
Cet après-midi, ils se reposent dans leurs chambres. Clara dort ou fait semblant, un bras sur les yeux et lui n'arrive pas à se concentrer sur son roman policier. C'est quand même dommage d'être à la merci du mauvais temps ! Il rassemble son énergie et bataille pour convaincre sa petite famille d'aller se ballader dans un village voisin.
Le village est déserté, même par les chats. Ils parcourent les ruelles désolées, Alice et Martin sautent dans les flaques, Clara se serre contre lui. Il tourne la tête... Une jeune fille le regarde avec des yeux rieurs. Il s'arrête brutalement. Clara s'inquiète : "Ca va ?" Il esquisse un sourire forcé.
"Je suis heureuse que tu aies insisté pour nous emmener ici. Ce village est vraiment typique, on sent le poids de son histoire, un mystère..." Clara a les yeux brillants. Il oublie parfois que sa femme, prof de lettres, écrit à ses heures perdues des histoires pleines de son imagination débordante. A ses yeux, ce village morose prend forcément des allures romanesques. Les rideaux des maisons sont bien tirés mais on les voit parfois trembler légèrement, révélant une présence, des yeux qui les suivent, touristes ruisselants égarés. Une silhouette se mêle à celle de leurs enfants qui jouent, jeune fille élancée, aux longs cheveux bruns... Il ferme les yeux pour la faire disparaître. Clara le scrute, la tête légèrement penchée.
"Ca n'a vraiment pas l'air d'aller."
"Désolé mais j'aimerais rentrer si ça ne t'ennuie pas."
Sa femme acquiesce en silence et appelle les enfants. Martin court à leur rencontre, l'air coupable : "Alice est partie par là !" Il désigne une ruelle en biais. Ils s'y précipitent, pas de trace d'Alice. Leur course devient effrenée, ils espèrent à chaque instant se retrouver nez à nez avec la fillette brune. Mais il finit par continuer les recherches, seul, sa femme traînant Martin à la voiture. Puis ils doivent se résoudre à alerter la police. Et pendant tout ce temps, il repense à la vision de cette jeune fille, cette silhouette du passé qu'il aurait tant aimé oublier, qu'il avait presque réussi à oublier. A ce week-end qui avait viré au cauchemar alors qu'ils n'étaient qu'une bande d'adolescents profitant d'un peu de liberté. A l'incendie, à la culpabilité d'en avoir réchappé. Alors qu'Alice y était restée.
Lionel ôte ses lunettes, se masse l'arête du nez et rend son ordinateur portable à sa femme. "On dirait qu'il ne pleut plus..."
Atelier d'écriture proposé par Leiloona